mercredi 18 janvier 2017

Gravity

Gravity ou le double sens de la maieutique
Sorti de la projection du film d'Alfonso Cuaron il y a trois ans, j'en avais eu une interprétation assez personnelle car personne d'autre ne semblait la partager. Lundi dernier, TF1, première chaîne culturelle de France, m'a donné l'occasion de soumettre ma première lecture à un deuxième filtre: celui qui s'associe au temps qui passe et aide les émotions de l'instant à sédimenter.
Et je maintiens qu'après ce nouveau visionnage familial, Gravity doit se vivre comme une double métaphore de l'accouchement.
Sceptiques, intrigués ? Lisez la suite.
Elles sont mortes; sa fille de quatre ans au sens propre et elle avec, au figuré. Elle erre dans l'espace stérile et hostile et enchaîne des gestes mécaniques. Il ne se passe rien. Lui en orbite, veille et réconforte. Elle est l'objet de son attention.
Il est la sagesse et plaisante. Elle a la nausée et tremble. L'air artificiel de son scaphandre la conserve dans une stase intermédiaire. Elle ne réfléchit pas. Elle respire, juste.
En silence, dans le vide Infini, sans but.
Soudain, une pluie de débris vient violemment ensemencer le film qui prend alors un ton de survival movie. L'objectif est clair: il faut revenir sur terre, à air libre.
Le vaisseau mère explose sous les projectiles et la force à chercher un nouveau refuge dans une autre station; L'ISS en l'occurrence. Elle y arrive, guidée par le sage homme accrochée par un cordon vital. Elle est sauvée, provisoirement, grâce à son sacrifice. A l'intérieur, repliée sur elle même devant un hublot à la lumière rose et jaune, elle nous offre une magnifique position foetale, en apesanteur; c'est trop évident, même pour ceux qui avaient encore jusqu'à ce moment, l'impression de regarder un film d'aventure lambda.
Mais l'action vient de nouveau perturber cette fragile tranquillité et l'oblige à s'extraire de l’ISS en utilisant la poussée d'un extincteur. Elle pousse, souffre et hurle pour atteindre ce qui sera son deuxième et dernier véhicule de survie.
Grâce à mes analogies subliminales et subtiles vous commencez à vous rallier à ma thèse: c'est bien d'une renaissance dont il s'agit. Elle est enceinte et va accoucher d'elle même.
Alors pourquoi poursuivre la lecture ? Parce-que la suite de cette maieutique spatiale va nous donner à y voir son deuxième sens, philosophique.
S’éjectant de l’ISS, elle se propulse, toujours avec son extincteur, vers une station chinoise voisine.
A l’intérieur, alors que la station est manifestement entrainée par la gravité terrestre, c’est la panique. Notamment parce que (et l’on ne peut en vouloir au Chinois) toutes les commandes sont représentées par des idéogrammes; elle est perdue, crie et hurle comme un loup régressant au stade d'animal -gravide- et prête à l’accouchement de connaissances enfouies. Elle a une vision: il revient s’installer à côté d’elle et lui fait prendre conscience qu’elle sait. Il est juste là le deuxième sens de la maïeutique: exprimer un savoir caché en soi. Non pas qu’elle redécouvre qu’elle sait interpréter les idéogrammes, mais qu’elle peut deviner la signification des commandes par leur emplacement sur le tableau. C’est beau.
Et utile, car cela lui permet de désarrimer la capsule du vaisseau principal qui va se désintégrer pendant qu’elle traverse l’atmosphère dans son cocon placentaire métallique qui finit sa course dans l’eau. On passe alors de l’air artificiel au liquide amiotique. Elle en émerge, nage à travers les algues et dans un mouvement libératoire prend sa première bouffée d’air. Elle rampe sur la berge au sable cuivré et se relève, fébrile, quasi nue, vivante.

Premier Contact (The Arrival)

...vous connaissez la fin. “Premier Contact” est un film que vous avez adoré; sinon retournez y après avoir lu ce qui suit. 12 ovnis noirs oblongs de 500 mètres de long se positionnent verticalement autour de la surface de notre planète. Un début qui rappelle la fin de 2001 l’Odyssée de l’espace et ses monolithes omniscients. Cette référence place la barre à la hauteur du meilleur film de science fiction de tous les temps. Ce qui met une certaine pression sur Louise qui doit entrer en contact et sauver le monde d’une hystérie auto destructrice imminente engendrée par cet évènement. La notion de circularité forme l’ADN de ce grand moment de cinéma. En double hélice, le scénario nous enroule lentement dans une boucle temporelle et métaphorique. La communication devient l’enjeu central et circulaire comme le décrivait N. Wiener, le père fondateur de la cybernétique, qui avait enrichi la modélisation du processus de communication par l’ajout d’une boucle de rétroaction; le récepteur agit sur l’émetteur. Louise agira sur le destin des Aliens et du monde et réciproquement. La circularité de l’espace temps trouve ici une projection subtile car le paradoxe temporel est habilement résolu: le fait de connaître le futur ne confère pas un droit à le modifier; surtout que cette boucle particulière mêle le destin tragique de la fille de Louise à celui du monde. C’est de cette étoffe sacrificielle que sont faits les héros de Premier Contact qui livre un message simple, humaniste et impossible si l'on conçoit le temps de façon linéaire. La communication, l’amour entre les peuples peuvent sauver notre monde. Impossible parce que l’homme doit faire l’expérience de sa destruction pour en prendre conscience. Sommes nous prisonniers de notre destin, enfermés dans une boucle temporelle funeste ? Où notre détermination peut elle transformer la circularité de l'espace temps en une spirale salutaire?
Vous avez adoré le film parce que vous aimerez cette critique et comme Louise, vous voudrez revivre le début puisque...